Littérature et Philosophie Pensée afro-caribéenne

Le jour où les Antilles feront peuple de Matthieu Gama

26/07/2023

Interroger les traumatismes de l’histoire afin de faire émerger les bases d’un monde commun antillais, telle est l’ambition de Matthieu Gama dans ce court essai politique, préfacé par l’écrivain guadeloupéen, Ernest Pépin.

Dès les premières pages, Matthieu Gama nous éclaire sur l’objectif de son essai inspiré par L’Usine à rêves, concept d’ “intelligence collective” créé en 2015.

« Mon ambition profonde est d’aider à dessiner une société antillaise, écologiste, humaniste et spiritualiste ».

Plus loin, il rajoute :

« Mon rêve consiste à l’avènement des peuples qui ont subi la colonisation, et qui subissent, encore aujourd’hui, les conséquences traumatiques de ce processus de domination. » p.14

Matthieu Gama est, en effet, en quête de ce lien fédérateur nécessaire à la construction du “Nous” antillais. Ce qui l’amène à poser ce constat:

« L’esclavage nous appris à survivre, mais il nous a empêché d’apprendre à vivre en peuple ».

Une fois ce constat posé, comment faire advenir ce vivre ensemble ?

Sa réflexion s’articule autour de trois axes :

  • La mise en exergue des traumatismes liés à la violence de l’histoire des Antilles : la traite négrière, l’esclavage, la colonisation, l’assimilation identitaire, autant d’événements qui ont engendré des troubles psychologiques, empêchant le peuple antillais de « faire peuple ».

” (…) nous avons tous fait l’expérience du “nèg kont nèg”, au travail, au sein de la famille, entre amis, dans quelque espace social qu’il soit. Mais s’il ne s’agissait que d’une absence de solidarité, nous aurions depuis longtemps comblé cette lacune et nous aurions fait corps et peuple… Les communautés antillaises forment ensemble un groupe social, ethnique humilié, jusqu’au tréfonds de son âme par la domination esclavagiste et coloniale, elle-même soutenue par une logique économique profitable au roi de France, et plus tard à la métropole. » p.39

  • L’analyse des raisons de l’anéantissement de l’identité antillaise : Des traumatismes de l’histoire résulte une forme d’aliénation qu’Aimé Césaire dénonçait déjà à son époque. Il faut donc refonder ce « Nous » antillais brimé par l’idéal républicain universaliste. Dans cette seconde partie, Matthieu Gama met en lumière la complexité du problème identitaire antillais. Il cite le philosophe martiniquais René Ménil:

« Dans le système colonial, la conscience des colonisés est façonnée, modelée conformément aux valeurs et aux vérités des mâtres. C’est dire que, dans chaque colonisé, le colonisateur a introduit, dans l’âme même du colonisé, les sentiments, les idées du maître. Dans chaque colonisé nous aurons une âme blanche dans un corps noir» p.89

René Ménil, Légitime défense
  • La résilience du peuple antillais : C’est, en effet, l’histoire même du peuple antillais qui porte les germes de son dépassement. Il faut donc mettre en lumière ces « initiatives de désaliénation » qui la constituent et qui sont porteuses d’espoir.

« La contestation du colonialisme et le militantisme identitaire antillais ne sont pas nés avec la loi de départementalisation de 1946. Ils datent a minima de la première abolition de l’esclavage de 1794. Ils se sont manifestés ensuite par des luttes sociales et syndicales, mais aussi culturellement par la naissance de courants fondamentaux de pensée : la négritude, l’antillanité et la créolité. »

Si les questionnements de Matthieu Gama ne portent pas directement sur les territoires antillais non français, sa quête d’une solution collective l’amène à mettre en lumière l’influence des idées révolutionnaires qui ont émergées sur les autres îles antillaises comme Cuba ou Haïti. Les revendications identitaires antillaises se sont également nourries du mouvement politique panafricaniste qui prône la solidarité entre las Africains et les afrodescendants. Pour Matthieu Gama, il est impérieux de trouver des solutions proprement antillaises pour dépasser les traumatismes de l’histoire et arriver à fonder un monde commun antillais. Et pour cela, il a identifié trois « tuteurs de résilience collective » : le sentiment d’appartenance, l’agrandissement de la sphère familiale antillaise à l’échelle de l’humanité et la spiritualité.

Résumé

« L’esclavage nous a appris à survivre, mais il nous a empêché d’apprendre à vivre en peuple ». C’est par ce terrible constat que Matthieu Gama pose la question fondamentale de l’ambition des populations des Antilles à faire peuple. C’est au travers d’une réflexion très personnelle que l’auteur partage sa vision de l’identité antillaise. Cette identité qui porte en elle le poids d’une histoire dramatique et le miracle de la résilience. Une pensée qu’il nous livre, en abordant avec clarté les concepts établis par d’éminents auteurs antillais, de Césaire à Fanon en passant par René Ménil ou Jacky Dahomay, mais également par des artistes plus contemporains. Cet ouvrage éclaire d’un jour nouveau la psyché antillaise, dressant, en trois actes, une analyse sans concession des réflexes comportementaux qui altèrent l’ambition collective au sein de la communauté antillaise, de l’époque esclavagiste à nos jours. Mais quelle est cette communauté ? Quel est donc ce Nous ? Comment des populations tant malmenées par l’Histoire pourraient-elles parvenir à se construire un Destin commun ? Loin de tout fatalisme, l’auteur délivre un manifeste empreint d’espoir, et nous propose sans prétention des pistes de désaliénation économique, sociale et psychologique, à l’échelle individuelle et collective pour une seule et même aspiration : celle de faire peuple. Le jour où les Antilles feront peuple est un formidable exercice de projection mentale dans un avenir radieux, tout aussi ambitieux que bouleversant, qui nous invite indubitablement à changer notre façon d’appréhender et considérer les Antilles françaises. »

Je remercie Matthieu Gama pour l’envoi de son essai politique dont j’ai beaucoup apprécié la lecture !

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