Treize Jours (A Untamed State) paru en 2014 (août 2017 en France), est le premier roman de Roxane Gay, auteure afro-américaine d’origine haïtienne. Dans ce récit qu’elle dédie aux « femmes, de par le monde », plusieurs thématiques s’entrecroisent : les violences sexuelles, la féminité, l’identité (ou les identités), la classe sociale, l’immigration…
TREIZE JOURS [An Untamed State] – Roxane Gay – Éditions Denoël – 480 p. août 2017. Traduit de l’anglais (EU) par Santiago Artozqui
Fille de l’un des hommes les plus riches d’Haïti, Mireille Duval Jameson mène une vie confortable aux États-Unis. Mais alors qu’elle est en vacances à Port-au-Prince avec son mari Michael et leur bébé Christophe, Mireille est kidnappée. Ses ravisseurs réclament un million de dollars à son père. Pourtant, ce dernier refuse de payer la rançon, convaincu que toutes les femmes de sa famille seraient alors enlevées les unes après les autres. Pendant treize jours, Mireille vit un cauchemar. Son ravisseur, dit le commandant, est d’une cruauté sans nom. Comment survivre dans de telles conditions et, une fois libérée, comment surmonter le traumatisme, pardonner à son père et recréer une intimité avec son mari ?
Mireille et les siens vont pourtant réussir à reprendre pied et découvrir que la rédemption peut revêtir les formes les plus inattendues.
Qui est Roxane Gay?
Née à Omaha en 1974, dans le Nebraska, de parents d’origine haïtienne, Roxane Gay est auteure, professeure d’université et éditorialiste. Ses écrits abordent différentes thématiques comme le racisme, les conflits de classe ou l’identité sexuelle.
En 2011, elle publie Ayiti, une collection de « courtes histoires sur Haïti, son peuple et sa diaspora. » Elle est notamment connue pour son best seller, Bad Feminist, publié en 2014 (2018 en France aux éditions Denoël) dans lequel elle revendique un « féminisme imparfait » dépouillé des impératifs qu’impose le féminisme universaliste. Elle prolonge cette critique des multiples diktats qui emprisonnent les femmes dans Hunger, une histoire de mon corps, essai paru en 2017 ( 2019 en France aux éditions Denoël). Elle y relate l’agression sexuelle qu’elle a subie à 12 ans et qui l’a conduite à prendre volontairement du poids afin d’ “être invisible et par conséquent en sécurité”.
Elle est également l’auteure de World of Wakanda, l’un des comic books de la série qui a inspiré le long métrage, Black Panther.
Treize jours : un récit éprouvant
« Il y a trois Haïti : le pays que les Américains connaissent, le pays que les Haïtiens connaissent et le pays que je croyais connaître. »
Ce roman est incontestablement l’une de mes meilleures lectures de ce début 2019. Je me suis préparée psychologiquement avant de le lire car je redoutais les scènes de viol. J’avais peur que ce soit trop cru, trop insoutenable. Habilement construit, le récit, pourtant dur et éprouvant, se fait sans sensationnalisme, sans pathos. Les souvenirs heureux de Mireille sont évoqués à travers de nombreux flash-back : elle se remémore sa vie à Miami, son histoire d’amour avec Michael son mari, ses vacances en Haïti durant son enfance.
La narration à la première personne favorise une identification avec l’héroïne mais renvoie également à l’expérience traumatisante qu’a vécu l’auteure elle-même : un viol collectif à l’âge de 12 ans.
« Après des jours à mourir, j’étais morte. Je ne sentais aucun goût, je ne sentais rien, je n’étais rien. »
Enfermée dans sa « cage » durant treize jours – treize longs jours- Mireille fait appel à des ressources insoupçonnées en elle pour arriver à survivre. Nier son corps, nier son passé, son identité pour arriver à surmonter l’insurmontable.
« J’avais besoin de n’être personne pour pouvoir survivre. »
Elle se remémore cette berceuse populaire de la Jamaïque qui illustre les choix difficiles auxquels les femmes sont parfois confrontées.
« Elsa, une amie jamaïcaine, m’a parlé une fois d’une berceuse populaire dans son pays, sur une mère avec treize enfants. La mère en tue un pour nourrir les douze autres, puis un pour nourrir onze, puis un pour en nourrir dix, jusqu’à ce qu’il ne lui en reste plus qu’un, qu’elle tue également parce qu’elle a aussi faim. Finalement, elle retourne dans le champ où elle a assassiné ses enfants, où reposent les os de leurs treize corps. Elle se tranche la gorge parce qu’elle ne supporte pas d’avoir fait ce qui devait être fait. « Aux Caraïbes, une femme doit toujours affronter de tels choix », a conclu Elsa après m’avoir raconté son histoire. »
Parfois au bord de la folie, sa force de caractère sera pour elle un formidable rempart qui l’empêchera de sombrer complètement. Dès les premiers jours de son kidnapping, Mireille ne cesse de se répéter : « Il n’y a rien à quoi je ne puisse survivre ».
Et c’est une autre femme forte, la mère de son mari Michael, qui l’aidera à surmonter son traumatisme.
Espoir et Renoncement
Dans l’après, il faut se reconstruire, « retrouver » son corps, réapprendre à vivre. Mais « ce qui a été saccagé » ne pourra être complètement réparé. Le chemin sera difficile et douloureux pour Mireille. Sa belle-mère Lorraine, qui a connu un cancer, jouera un rôle clé dans sa « résurrection ».
« Dans l’avant, je tenais pour acquis le caractère sacré de mon corps. Dans l’après, mon corps n’était rien. »
Mais l’espoir qui naît pour Mireille est également synonyme de renoncement à Haïti, cette « zone de non-droit ».
« Je me suis rappelé le pays que Haïti était devenu pour moi, le chagrin. » Plus loin elle ajoute : « Je ne voyais aucune part de moi-même dans ce pays que j’appelais autrefois ma maison. (…) Néanmoins, j’avais toujours honte de si peu comprendre véritablement ce pays, ou d’être jamais capable de la faire. (…) Je ne reviendrai jamais ici. »
Pour « retrouver le chemin vers la femme, qu’[elle] était autrefois », Mireille doit s’éloigner d’Haïti, de sa famille, de son père à qui elle ne pardonnera jamais de l’avoir « abandonnée ».
« J’ai finalement osé espérer »
Déconstruction et reconstruction. Espoir et renoncement. Au-delà de la question du viol, ce roman dresse le portrait intime d’une femme forte qui se découvre « brisable » : Comment exister en tant que femme dans un monde d’hommes (prédateurs) ?
« Les enfants de sexe féminin ne sont pas en sécurité dans un monde où il y a des hommes. Elles doivent apprendre à être fortes. »
Cette phrase sonne comme une sentence, comme si nous, les femmes, étions obligées de construire une forteresse autour de nous. Tous les hommes ne sont pas des prédateurs, heureusement. Et j’ose espérer que l’éducation de nos enfants, garçons et filles, permettra un changement positif.
Treize Jours de Roxane Gay fait également partie des favoris de Hélène’s Universe. Je vous invite à découvrir la vidéo où elle en parle.
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